Afrique Subsaharienne « L’on se demande si nous ne sommes pas en train de célébrer le recul ou le requiem de notre démocratie »
, Ancien directeur de la formation de l’ONG SIX’S international, Ancien secrétaire général de la Fédération des unions des groupements naams (FNGN) , ancien ministre de l’Administration territoriale et de la sécurité, ancien président de la commission nationale de la décentralisation, l’actuel président du Laboratoire citoyennetés, Raogo Antoine Sawadogo est un acteur majeur de la scène politique Burkinabé durant ces 30 dernières années. Après son dernier poste politique au titre de président de la fédération du Mouvement du peuple pour le progrès (MPP) du Nord , il dit avoir pris la décision de se mettre en retrait pour faire de la place à la jeune génération .Cet acteur politique majeur que d’aucuns surnomment le « Catéchiste de la décentralisation au Burkina Faso », doublé de son titre de consultant parcourt plusieurs pays d’Afrique pour partager son expérience sur la décentralisation et la gouvernance locale . Avec cet homme politique bien connu et monument du monde associatif, nous avons échangé sur la conduite des processus électoraux ces 30 dernières années dans les pays d’Afrique subsaharienne. Une interview qu’il a bien voulu accorder à l’Observateur Paalga et au journal en ligne Faso-nord.info

Comment appréciez-vous l’évolution des pays d’Afrique subsaharienne ces dernières années ?
Les pays d’Afrique subsaharienne sont ces dernières années sous la menace de phénomènes cycliques majeurs, à savoir l’insécurité du fait des Hommes Armés Non Identifiés (HANI), des pandémies et/ou épidémies, dont la Covid-19 et surtout la mal-gouvernance. Une gouvernance vertueuse permettrait de faire face efficacement à ces maux qui minent le développement en Afrique.
Malheureusement, les élections, qui devraient être le catalyseur de la gouvernance par la sanction positive ou négative des gouvernants, se révèlent être le principal moteur de la mal-gouvernance. Au cours de l’année 2020, plusieurs pays ouest-africains ont vécu au rythme des élections locales, législatives et présidentielles (Guinée-Conakry, Côte d’Ivoire, Niger, Mali), tantôt au prix d’une révision constitutionnelle controversée, quelquefois sur fond de crise sociopolitique.

L’attente majeure qui était de voir une offre politique répondre aux aspirations des peuples se trouve assez souvent trahie par des agendas politiques avec pour finalités l’accès au pouvoir à tout prix. Dans de telles conditions, les tenants du pouvoir (parti majoritaire), tout comme ceux qui y aspirent (opposition), rivalisent d’ingéniosité en manipulation des opinions, en achats de conscience, en dénonciations tapageuses, etc.
Finalement les pays africains mettent l’accent sur le caractère instrumental et mécanique de la démocratie que symbolisent les élections. ces aspects instrumentaux de la démocratie à travers des cycles électoraux qui ont cours depuis les indépendances des pays postcoloniaux sont symptomatiques de la démocratie falsifiée. .
Pourtant depuis les années 1990 ces pays d’Afrique subsaharienne ont renoué avec des régimes démocratique. Quelle analyse faites-vous des processus électoraux de ces pays ?
Je dirai que le processus électoral est subdivisé en plusieurs étapes. Il y a en premier lieu les périodes de précampagne. Celles –ci sont caractériséespar diverses manœuvres pour s’assurer un bon positionnement aux élections qui se pointent à l’horizon en lieu et place d’une mise en œuvre idoine des politiques de développement au bénéfice de la population.

Pendant que les gouvernants fourbissent leurs armes pour s’assurer d’être élus ou réélus, ils laissent en souffrance les projets et programmes de développement, abandonnent la conduite adéquate des services publics. Au nom des intérêts politiciens, le bien-être des masses laborieuses est sacrifié. Les politiciens sont plus préoccupés par l’exécution dans la précipitation des investissements à caractère socio-économique bien ciblés pour charmer les grands électeurs où l’électorat d’une manière générale.
Il faut aussi retenir que les temps de la campagne reste le moment où presque toutes les activités de développement, depuis les administrations centrales jusqu’aux administrations périphériques, des villes jusqu’aux villages et hameaux, sont gelées. . Les citoyens sont harcelés en permanence par des offres politiques mirobolantes sous le sceau de la corruption, des alliances contre nature, de promesses d’offres de lune sur un plateau d’argent, de cadeaux divers et autres achats de conscience. Une nouvelle race d’acteurs est rentrée dans le jeu , tournant dans les sièges des différents partis pour offrir leurs services en matières de charmeurs des grands électeurs , de mobilisation des populations et d’intermédiation entre les candidats et les populations . Ces spécialistes d’un nouveau genre connaissent la psychologie des grands électeurs et des populations. Ils ont le verbe pour convaincre leurs interlocuteurs. Maitrisant tous les rouages et les milieux politiques, ils se font de bonnes affaires dans leurs nouveaux deals. On en trouve des spécialistes qui mobilisent pour tous les partis lors de leurs grands meetings. Les retombées de leurs investissements ne se limitent pas uniquement à la période de la campagne. En réalité leurs actions sont tactiques et procurent des rentes diverses au profit d’eux-mêmes (billets pour le pèlerinage, marchés publics, recrutement ou positionnement de leurs enfants, parents et assimilés)

Vous remarquerez aussi que dans le sillage de ces courtiers politiques, une autre catégorie de courtiers est constituée par les grands commis de l’Etat, les techniciens supérieurs, les juristes, les communicateurs, les médecins etc. C’est pour eux l’occasion de retrouver le chemin de leurs villages en considérant que c’est là où ils peuvent se légitimer aux yeux de la population et aussi être légitimé aux yeux de leurs parrains politiques.
Les autres étapes importantes du déroulement des élections sont la veille des élections et le jour des élections. Vous constaterezque la veille des élections se caractérise par une grande tournée de distribution de billets de banque et d’autres cadeaux significatifs comme des vivres dans les concessions au bénéfice des grands électeurs ou au profit des groupes organisés. La quantité de la somme déversée à chaque endroit se fait en fonction de l’implantation ou de l’enjeu électoral représenté par le bastion de l’adversaire politique ou de la citadelle politico –historique de la localité.

Pour revenir au Jour des élections, c’est l’étape marquant l’entrée en scène des décisions des électeurs. L’individu en tant qu’électeur qui décide à son âme et conscience de donner sa voix en faveur du candidat d’une gouvernance vertueuse, s’efface au profit de la rente engrangée auprès des partis politiques et leurs candidats. En réalité, la voix de l’électeur est donnée en fonction de la rente engrangée ou de la rente escomptée en espèces sonnantes et trébuchantes dans l’immédiat. L’investissement socio-économique sûr entre deux campagnes demeurant hypothétique. Ainsi les électeurs se vengent de ceux qui viennent quémander leurs voix pendant la campagne électorale pour après les oublier, attendant les prochaines échéances électorales pour revenir.
On constate de plus en plus que les institutions chargées de l’organisation et de la validation des élections ne font pas toujours l’unanimité. Comment expliquer ce manque de confiance?

C’est la période où plusieurs acteurs sont impliqués , démembrements des structures pilotant les votes, observateurs nationaux et internationaux et autres. Cette période très cruciale se caractérise par une haute et tactique ingénierie de manipulation des résultats : fraudes électorales, fabrication de faux procès-verbaux, disparition d’urnes et remplacement par des résultats préfabriqués. C’est en ce moment que les grands stratèges sortent l’artillerie lourde pour annoncer leurs victoires afin de prendre leurs adversaires de cours. C’est une étape également où les contestations, le torpillage des textes légaux et réglementaires ont pignon sur rue. Les résultats des élections le plus souvent sont fabriqués d’avance et les organes de service développent leur ingéniosité pour les aligner et les faire accepter comme tels. Rien n’y fait. Ceux qui jouent le rôle d’observateurs nationaux et internationaux entérinent ces résultats et clouent le bec des contestataires. Ce qui donne l’impression que le vainqueur des élections a été choisie bien avant. Les électeurs, les partis d’opposition et la société civile finissent par se convaincre que ce ne sont pas les élections en tant que tel qui élisent le vainqueur, mais que tout a été ficelé dans des officines internes et extérieures et selon des agendas insoupçonnés.

Conséquence, le vainqueur, les populations, autres idéologues lunatiques et autres engagés naïfs et altermondialistes se retrouvent pris en otage par ces officines, les courtiers en tout genre qui leur dicte la marche à suivre. La gouvernance dite vertueuse devient un serpent de mer, vouée aux hégémonies pour le compte d’une certaine sphère de complotistes, ou d’ovnis c’est-à-dire des êtres cachés quelque part que nul ne peut identifier.
La proclamation des résultats par les conseils constitutionnels reste l’épreuve du dilemme de la légitimé contre la légalité ou de la légalité contre la légitimé. Les cours constitutionnels statuant en dernier ressors proclament les résultats définitifs et il n’y a plus de recours. C’est le dernier verrou qui valide toutes les anomalies, les insuffisances et les tours de force ou de magie en tout genre.

Avec ce tableau sombre que vous venez de peindre, doit-on désespérer de l’Afrique ?
En cette fin 2020, la démocratie en Afrique subsaharienne reste toujours fragile et s’éloigne des standards d’élections libres et transparentes à cause des fraudes massives, des absentions records, des achats de conscience, des révisions constitutionnelles, symbolisant le refus de l’alternance. A l’analyse, l’on est tenté de dire que notre processus démocratique évolue en dents de scie ou fait du surplace. C’est inconcevable de constater qu’après tant d’années de pratiques démocratiques l’on soit toujours au stade de tripatouiller les constitutions pour s’accorder des 3éme mandat, que des billets de banque conditionnent les électeurs. L’on tombe à la renverse en constatant que l’électeur qui devait sanctionner les politiques pour les amener à plus de responsabilité se retrouve à les accompagner dans leurs travers. Au regard de ce que nous avons constaté ici et là, l’on est en droit de se demander si nous ne sommes pas en train de célébrer le recul ou le requiem de notre démocratie. Si des présidents, des ministres, des directeurs généraux, convaincus de corruption ou de tout autres crimes en sortant de prisons sont adoubés et fiers de l’être en revenant au village, c’est bien parce que la nature du pouvoir est mal comprise par les populations. Les élections représentent un leurre à leurs yeux.

Quel visage de l’Afrique entrevoyez-vous donc pour 2021 ?
Il urge de revoir de fond en comble l’éducation intramuros et extra muros.
L’éducation actuelle est sélective, élitiste, exclusive. Elle instaure une classe minoritaire de privilégiés bénéficiaires de presque tous les avantages d’un côté et de l’autre des laissés pour compte qui constituent la grande masse des exclus des fruits de la richesse matérielle et non matérielle.
Il est aussi important de réinventer les modes de redistribution des richesses depuis les centres urbains jusque dans les villages et hameaux. La réinstauration les systèmes de sécurité morale, mentale et physique s’avère nécessaire. Les modes de sécurisation des personnes et des biens pratiqués par les États sont tombés en désuétude.
Il convient en outre de remplacer les projets et programmes de lutte contre la pauvreté. Ils introduisent les germes de mentalité d’assistés permanents et maintiennent les pays aidés sous le boisseau, qui ne savent plus inventer par eux-mêmes des visions politiques hardies et ambitieuses.

Une population maintenue dans l’obscurantisme à partir de l’entrée de l’Afrique dans « l’étatisatisation » à l’occidentale, un peuple devenu pauvre en termes de production et de livraison de services et biens en tout genre, développe des réflexes de mendicité et de dépendance. Toutes tendances confondues, élites politico-administratives, classes moyennes, populations, développent également des tendances lourdes de mal gouvernance et partant du mal développement.

Mon vœux le plus ardent est que 2021 soit le tournant résolu vers une prise de conscience que les élections ne sont pas une fin en soi, mais un épisode qui permet de jeter les bases d’un consensus pour un développement humain durable.
Faso nord info